L’EXPRESS 1983
L’EXPRESS
1983
Atelier 74, “le premier supermarché de l’art”, 74 rue de la Verrerie, Paris‑IV, jusqu’au 30 janvier.
Roma Napoli, Lapin‑Chasseur, et Jim‑Jam Dow Jones mènent une bohème tranquille dans une petite baraque triste et moche du côté du métro Danube. « On s’appelle Dix sur Dix parce qu’on est plus que parfaits. A eux trois, ils conjuguent peinture et vitesse. Une quarantaine d’œuvres peintes en une heure, c’est plus que Vermeer en une vie, plus que Picasso en une seule journée. Ils ont exécuté ‑ c’est le mot ‑ près de 4 400 peintures sur carton en six mois.
Leurs oeuvres : des natures mortes représentant des produits de consommation courante brossés dans leur plus simple expression.’ Litres d’huile, pots de yaourt, brosses à dents, bouteilles de champagne… La peinture devient à son tour semblable à ces produits, ni plus ni moins importante, ni plus ni moins respectable. Allant jusqu’au bout de leur logique, les Dix sur Dix vendent leurs oeuvres dans une galerie transformée en libre‑service. Après le tourniquet d’usage, vous pouvez vous emparer d’un mini-chariot et le remplir de peintures proposées à des prix (presque) coûtants. Exemple : 3 Francs pour une esquisse représentant une boite de sardines. Les oeuvres sont entassées sur des rayons, dans des bacs et dans des congélateurs. Une bande‑son diffuse une musique d’aéroport entrecoupée d’annonces vantant les affaires à saisir, les promotions du jour. Les emplettes terminées, il ne reste qu’à se diriger vers la caissière en blouse de Nylon rose qui attend le visiteur pour l’addition.
« On veut dénoncer la récupération de Figuration libre et de ses peintres spontanés par les grandes galeries du circuit traditionnel », crient en chœur les Dix sur Dix. Le groupe songe à pousser plus loin encore son art de la dérision. Il va tenter la vente par correspondance et rêve d’installer des distributeurs automatiques dans les couloirs du ministère de la Culture.